J'ai fait la magique étude - Du bonheur, que nul n'élude.
Extrait de Derniers Vers.
Une saison en enfer
C'est sur les conseils d'Auguste Bretagne, un employé aux contributions indirectes de Charleville épris de poésie et ami de Paul Verlaine, que Rimbaud envoi, fin août, quelques un de ses poèmes à l'auteur des "Fêtes galantes". Séduit, Verlaine l'invite à le rejoindre à Paris en des termes enthousiastes: "Venez, chère grande âme, on vous appelle, on vous attend ". A la mi-septembre, Arthur part à Paris avec en poche son poème Le Bateau Ivre.
Si Verlaine accueil le jeune voyant à bras ouverts, sa belle famille (Verlaine qui vient juste de se marier avec Mathilde Mauté vit encore chez ses beaux-parents) ne supporte pas l'attitude outrageante d'Arthur qui finit par se faire héberger par les amis de Paul comme Banville, Charles Cros ou encore Ernest Cabaner. Verlaine emmène son jeune protégé au dîner des Vilains Bonshommes au cours duquel Rimbaud déclame son poème marin et impressionne la communauté parnassienne.
Les deux hommes fréquentent aussi le cercle des poètes Zutiques, fondé par Charles Cros, qui se réunit à l'Hôtel des Étrangers, boulevard Saint-Michel, et collaborent à l'Album collectif du groupe. Cependant, l'attitude méprisante de Rimbaud envers les autres poètes ainsi que sa liaison scandaleuse avec Verlaine vont conduirent peu à peu à son exclusion du milieu littéraire Parisien.
Rimbaud et Verlaine hantent les cafés du Quartier Latin se saoulent à l'absinthe et mènent une vie dissolue. En janvier 1872, victime de violences conjugales, Mathilde s'enfuit à Périgueux avec son fils.
Affecté par ce départ, Verlaine promet à sa femme de rompre avec Rimbaud, qui repart pour Charleville en mars, et de reprendre la vie conjugale. Elle accepte et revient à Paris, mais Rimbaud aussi. Il loge à l'hôtel rue Monsieur le Prince puis à l'hôtel de Cluny où il écrit Fêtes de la patience et raconte sa vie nocturne dans ses lettres à Delahaye.
Agacé par les démêlés conjugaux entre Paul et Mathilde il décide de rompre avec Verlaine et de quitter Paris. C'est en allant poster sa lettre de rupture que Rimbaud rencontre par hasard Verlaine et lui fait part de sa décision, Verlaine abandonne tout et le suit à Bruxelles. En juillet 1872, Mathilde, accompagné par sa mère arrive à Bruxelles pour convaincre Verlaine de rentrer à la maison, celui-ci accepte mais à la gare il leur fausse compagnie et s'enfuit avec Rimbaud.
C'est lors de leur passage à Ostende que Rimbaud voit la mer pour la première fois, ils partent ensuite pour Douvres puis Londres. Ils retrouvent là bas des communards exilés, comme Eugène Vermersh et Félix Regamey qui les aident à s'installer près de Soho, 34 Howland Street. Rimbaud écrit de nombreux poèmes, sans doute les première proses des Illuminations tandis que Verlaine compose ses Romances sans Paroles.
Tourmenté par le procès en séparation de corps que Mathilde vient de lui intenter, Verlaine est accablé de remords et en pleine crise de conscience. Arthur fait appel à sa mère qui lui conseil de revenir à Charleville, il rentre fin décembre.
Trois semaines plus tard, Verlaine malade appel au secours. Retour à Londres avec la mère de Verlaine cette fois. Paul et Arthur reprennent alors leurs existence précaire faite d'études, de ballades et de cours de français qu'ils donnent pour survivre.
Le 4 avril, Verlaine quitte Londres dans l'espoir de se réconcilier avec sa femme, mais elle refuse tout contact. Arthur rentre à Roche le 11 avril. De cette période datent les premiers textes d' "Une Saison en Enfer" qui s'appelle alors Livre Païen, ou Livre Nègre.
Rimbaud qui s'ennuie à Roche va de temps en temps voir Delahaye et Verlaine à Bouillon, à la frontière franco-belge. Début juillet, Verlaine entraîne à nouveau Rimbaud vers l'Angleterre mais rien ne change, le couple infernal est toujours fauché malgré les cours de français, et leur relation conflictuelle et d'une étrange nature les exclut du milieu communard de Londres.
Verlaine est toujours très préoccupé par la demande de séparation de Mathilde ce qui exaspère Rimbaud et donne lieu à de violentes querelles au cours desquelles ils leur arrive de se battre à coup de poings et de couteaux.
C'est à la suite d'une de ces disputes que Verlaine quitte Rimbaud et se réfugie à Bruxelles dans l'espoir d'y faire venir sa femme, sur laquelle il fait peser un chantage au suicide, mais seule sa mère accourt. Il envoie alors un télégramme à Arthur lui disant de venir aussi. Celui ci le rejoint excédé pour lui signifier la rupture.
Le 10 juillet, lors de circonstances encore mal établies aujourd'hui, Verlaine tire sur Rimbaud deux coups de revolver, dont l'un l'atteindra au poignet. Verlaine et sa mère accompagne Arthur à l'hôpital Saint-Jean pour être soigné, puis, Rimbaud qui veut se rendre à Paris se dirige vers la gare, où il est escorté par un Verlaine armé et de plus en plus exalté. Pris de panique il fait intervenir un agent de police et porte plainte.
Verlaine est arrêté puis transféré le lendemain à la prison des Petites-Carmes. Le 19 juillet Rimbaud retire sa plainte mais Verlaine sera quand même condamné à deux ans de prison et 200F d'amende par le tribunal correctionnel de Bruxelles pour coups et blessures. Arthur, désespéré, se retrouve à Roche en août où il termine Une Saison en Enfer.
Ce manuscrit sera le seul qu'il publiera (à compte d'auteur), grâce à sa mère qui assurera les frais d'édition auprès de l'imprimeur J. Poot à Bruxelles. Il porte un exemplaire à Verlaine en prison. Devant l'accueil glacial que lui réserve le milieu littéraire parisien, il laisse quelques exemplaires à ses amis les plus proche et repart dégoûté à Roche où il brûle les brouillons et les exemplaires qui lui reste.
En mars 1874, on le retrouve à Londres avec Germain Nouveau, un ancien du cercle zutique qui l'aide à recopier les Illuminations, mais en juin Germain Nouveau repart à Paris. Seul, Rimbaud tente de subsister en donnant des leçons de français. En juillet 1874 il tombe malade et appelle sa famille à la rescousse, sa mère et Vitalie viennent le voir. Soucieux de se mettre en règle avec les autorités militaire, il rentre à Charleville en décembre, pour apprendre qu'il est finalement exempté des obligations militaires.
En 1875, il est précepteur à Stuttgart où, en février il accepte de revoir Verlaine (en pleine crise d'exaltation religieuse) qui vient juste de sortir de prison et veut... le convertir. Rimbaud, dans une lettre à Delahaye, décrit la rencontre en ces termes: "Verlaine est arrivé ici l'autre jour, un chapelet aux pinces. Trois heures après, on avait renié son dieu et fait saigné les 98 plaies de N.S. Il est resté deux jours et demi fort raisonnable et sur ma remonstration s'en est retourné à Paris". Arthur lui confie quand même le manuscrit des Illuminations dans l'espoir que Verlaine finance l'édition.
Lorsque celui ci lui fait savoir par courrier qu'il n'a pas l'intention de payer quoi que ce soit, Rimbaud furieux, lui répond par une lettre d'injures et coupe définitivement tous liens avec lui. Les deux anciens amis ne se reverront plus jamais. Seul Verlaine continuera de prendre régulièrement des nouvelles de son ancien compagnon par l'intermédiaire de leurs amis communs.